Maroc, 1967
Dans un coin du jardin de la villa européenne, à l'ombre d'une touffe de lauriers roses, la vieille femme marocaine, toute de noir vêtue, est accroupie au sol. Elle y a installé son kanoun de terre, qu'elle remplit de brindilles sèches ramassées patiemment aux alentours. Une allumette enflammée - seule concession à la modernité - y est jetée. Le feu crépite sous la minuscule bouilloire de fer blanc, cabossée et culottée. Bientôt l'eau bout. Une pincée de thé extraite d'un papier journal roulé y est jetée.
Quelques minutes de silence et d'immobilité.
Puis le liquide à peine coloré est versé du haut du bras levé, jaillissant du col étroit et recourbé en un mince filet habilement dirigé. Une tasse de porcelaine ébréchée se remplit sans éclaboussure, et aussitôt portée aux lèvres, brûlante et bienfaisante. Elle rit de plaisir de toutes ses dents en perdition, agitant ses bracelets et ses colliers dorés. Sur le dos de la main, la trace indélibile d'appartenance à sa tribu, là-bas, dans l'Atlas.
Pour préparer et boire son thé, elle refuse obstinément d'utiliser le réchaud à gaz, et de s'asseoir devant une table, dans cette maison qui l'emploie depuis des années tout le jour pour cuisiner et faire le ménage.
Dans son sabir, elle nous apprend à désigner trois choses essentielles de sa vie quotidienne :
- m'a, l'eau
- kanoun, le foyer pour le feu
- tchaï, le thé
Ses mots de survie, au milieu du confort occidental.