Thèse de Doctorat de 3ème cycle

 Directeur : Raymond Jean

 Université de Provence, Aix en Provence, 1984

"Approches d'une poétique du JE et du TU chez Paul Eluard et Pierre Emmanuel"

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Plan de l’étude

[...] Pour s’efforcer de réaliser le projet qui vient d’être esquissé, l’ensemble de cette contribution s’articulera donc en trois parties distinctes :

I – La première partie sera exclusivement consacrée à l’œuvre de Paul ELUARD, en s’efforçant de l’analyser d’un point de vue centré surtout sur le langage, pour démontrer que, chez lui, le couple du JE et du TU, exploité sans interruption avec toutes les ressources conscientes d’un poète maître de son style, conduit à un « véritable langage de l’amour. »

Cette approche comportera trois chapitres essentiels :

1 – L’importance quantitative et qualitative des marqueurs des 1ère et 2ème personnes sera d’abord établie à partir d’un rapide inventaire des travaux existants, puis d’une approche des divers recueils et pièces selon l’emploi que le poète y fait de ces marqueurs. Des tableaux de fréquences seront dressés pour en apprécier les valeurs et leurs variations, en fonction de repères bio-bibliographiques simples.

2 – Puis les marqueurs spécifiques du JE–TU seront analysés successivement des points de vue morphologique, phonologique, syntaxique et sémantique, en mettant chaque fois en relief l’effet de sens obtenu par le poète dans des emplois appartenant au corpus. Cette étape peut être qualifiée de « stylistique du JE–TU » en donnant à ce terme non le sens d’une vaine évaluation des écarts par rapport à une norme, mais d’inventaire des potentialités expressives de la langue.

3 - Ensuite, les différents JE et TU de l’œuvre ayant été identifiés, il sera procédé à une analyse thématique du corpus des cooccurrences, selon trois axes principaux : celui du lyrisme amoureux, du discours militant, et du travail de l‘écriture, avec la mise en évidence, à plusieurs occasions, des divers réseaux de significations identifiables.

I I – La seconde partie sera à son tour une approche de la vie et de l’œuvre de Pierre EMMANUEL, de manière à appréhender aussi ce qu’a de spécifique chez lui l’emploi très fréquent des tournures en JE et en TU.

Elle se divisera également en trois chapitres :

1 – Dans le premier, la mesure sera d’abord prise de l’ampleur de l’œuvre écrite – poésie et prose – de Pierre EMMANUEL, afin de tenter d’en dégager les principales étapes, à la fois personnelles et littéraires. En l’absence de toute étude de ce type, ce travail s’est avéré indispensable pour expliquer la progression très sensible du nombre de cooccurrences JE-TU entre les premières et les dernières oeuvres actuellement publiées, et mettra en évidence l’émergence des thèmes liés au JE et au TU.

2 – Le second chapitre analysera précisément, suivant un plan proposé par Pierre EMMANUEL lui–même, les “thèmes majeurs” de son oeuvre et de sa pensée en y repérant le travail des marqueurs de la personne :

- L’Histoire, avec son “Commencement”, la “ville”, et la “voix",

- L’Erotique, bien sûr, appréhendée successivement à l’aide des images forces de la “Matrice”, du “Couple”, et des “Eaux",

- Dieu, enfin, à travers d’abord ses “médiateurs bibliques”, puis le “Christ”, les figures féminines de la “Sagesse” et de “l’Eglise”, et enfin les “Noms divins".

3 - Le troisième chapitre tentera d’appréhender la notion même de symbole : celui de la parole poétique d’abord, dans toute sa force de profération, et essentiellement celle d’un JE et d’un TU cherchant inlassablement, dans les corps et les âmes, le chemin de l’unité humaine et divine perdue.

Il se clôturera sur l’évocation poétique et picturale du duel historico-mythique de JACOB et de l’Ange, comme scène centrale de la fusion incertaine du JE et du TU, “symbole de l’Un”, chez Pierre EMMANUEL.

I I I – En troisième partie, qui ne contiendra que deux chapitres, il sera tenté à la fois une généralisation et une théorisation des résultats acquis précédemment :

1 - C’est tout d’abord l’esthétique générale du JE-TU qui sera explorée. En effet, la présence simultanée des deux participants du message linguistique n’est pas limitée à la seule poésie contemporaine de Paul ELUARD et de Pierre EMMANUEL. Elle sera donc recherchée successivement dans d’autres formes d’expression artistique (roman excepté) : la poésie du passé, la chanson française et la carte postale, dans le théâtre ensuite, puis la musique vocale et lyrique, et la peinture également, et enfin dans les techniques du son et de l’image animée.

2 – Le dernier chapitre s’efforcera enfin de baliser l’histoire du JE et du TU dans la pensée occidentale, depuis SOCRATE et ses précurseurs, puis DESCARTES et PASCAL, et même COOLERIDGE, qui le premier nominalisa leur emploi simultané. Des rapprochements révélateurs seront tentés entre Ludwig FEUERBACH et... Paul ELUARD d’une part, et entre Gabriel MARCEL et Pierre EMMANUEL d’autre part.

Mais c’est surtout la notion du JE-TU comme MOT-PRINCIPE chez Martin BUBER, socialiste et mystique, qui sera analysé et approfondi, et, en complément de l’étude sur Pierre EMMANUEL, certains textes bibliques seront aussi inventoriés.

Enfin, à travers les catégories spécifiques des sciences humaines - psychanalyse et linguistique principalement - il sera possible de formuler quelques données de base concernant une “poétique du JE et du TU” qui pourrait en effet être, selon la remarque de Raymond JEAN, “le langage même de la poésie.”

En conclusion, en évitant des comparaisons trop générales d’un auteur à l’autre, il sera tenté de repérer les limites de la recherche entreprise, mais aussi la fécondité de l’hypothèse formulée au point de départ. On s’efforcera de répondre à la question suivante, à partir des matériaux accumulés dans chacune des parties de l’étude :

Il semble dès maintenant que cette réponse sera positive, mais il demeure bien sûr indispensable de le démontrer.

Pour formuler à nouveau la démarche suivie dans le présent travail, il est possible de reprendre à son compte l’objectif que se fixait Pierre EMMANUEL lui-même au début de son essai sur le “JE UNIVERSEL DANS L’ OEUVRE DE PAUL ELUARD”

“Je m’attacherai donc à l’unité de ton que manifeste cette poésie, à son épanouissement régulier par le moyen d’une expérience humaine toujours plus vaste et complexe. Ce qu’un tel procédé contient d’arbitraire sera racheté par une approche plus directe des symboles, envisagés dans leur acception commune, tels qu’ils se présentent au lecteur ouvrant un livre d’ELUARD pour la première fois.” (LMI, 132)

Ainsi donc le dialogue des deux poètes, amorcé par l’un à partir de son intuition de l’essence universelle du “JE” de l’autre, se prolongera-t-il, d’une manière continue, tout au long de ces pages, jusqu’à la profération finale d’un “TU”, qui sera pour Paul ELUARD celui que son langage amoureux adressait à l’aimée, morte mais renaissante, tel le Phénix, et pour Pierre EMMANUEL, celui, inaccessible autrement qu’en symbole, qui est le Nom de la mystérieuse unité divine, la conjugaison simultanée de ce JE et de ce TU étant la démarche même de l’écriture.

Le champ d’une poétique – si elle existe – sera donc exploré en partie à l’aide de deux grandes oeuvres contemporaines très différentes mais tout à fait complémentaires, à l’image même du JE et du TU.

Le couple syntaxique des deux personnes y apparaîtra ainsi comme, d’une part, le langage même de l’amour éluardien, et, d’autre part, comme l’expression de la symbolique emmanuelienne de l’Un, qui se confondront en un seul “mot–principe”, à la fois double et unique, fondateur d’une poétique spécifique.

(Extrait : Fin de l'introduction de la Thèse)